La reconquête de la sagesse agricole en Afrique de l'Est

Vue d’ensemble
La conservation des semences est une pratique ancienne qui consiste pour les agriculteurs à collecter, nettoyer, sécher et stocker les semences de leurs meilleures récoltes en vue de les replanter la saison suivante. Dans toute l’Afrique de l’Est, cet acte simple est le fondement de la souveraineté alimentaire, de la biodiversité et de la continuité culturelle. Il garantit :
Un patrimoine génétique diversifié adapté aux climats locaux
Résilience face aux chocs climatiques et aux perturbations du marché
Réduction des coûts et de la dépendance à l’égard des marchés des semences commerciales
Préservation des connaissances culturelles, des rituels et des variétés indigènes
En Ouganda et au Kenya, cette pratique est aujourd’hui en voie de disparition, mais elle est aussi en train de renaître avec force.

Les défis de la conservation des semences au Kenya et en Ouganda
1. Prolifération des semences OGM
Bien qu’ils soient présentés comme des solutions à l’insécurité alimentaire, les OGM sont souvent assortis de brevets restrictifs. Les agriculteurs ne peuvent pas légalement conserver ou replanter ces semences. Chaque saison, ils doivent acheter de nouveaux stocks, ce qui accroît leur endettement et leur dépendance.
Droits de propriété intellectuelle (DPI): Interdire la conservation des semences pour les cultures d’OGM.
Technologies de restriction de l’utilisation des ressources génétiques (GURT): Les « semences Terminator » sont conçues pour être stériles après un cycle. Bien qu’elles ne soient pas encore commercialisées, leur potentiel a suscité une inquiétude mondiale quant à l’autonomie des agriculteurs.
2. Lois restrictives sur les semences
En Ouganda et au Kenya, les lois criminalisent le partage ou l’échange de semences non certifiées.
Les agriculteurs peuvent se voir infliger des amendes ou des poursuites judiciaires s’ils conservent des variétés traditionnelles.
Ces politiques reflètent souvent les accords commerciaux internationaux et le lobbying des entreprises, et non les besoins des communautés rurales.
3. L’influence des entreprises et le « colonialisme des semences »
Les multinationales poussent à l’adoption des OGM dans toute l’Afrique, menaçant les systèmes de semences locaux. Les critiques appellent cela le « colonialisme semencier », un système économique dans lequel des acteurs extérieurs contrôlent les intrants agricoles, ce qui a pour effet de priver les connaissances traditionnelles de leur pouvoir et de créer une dépendance.

Ouganda : Entre la paralysie politique et le plaidoyer à la base
L’Ouganda reste à la croisée des chemins sur le plan législatif. Depuis 2012, le gouvernement a présenté à plusieurs reprises le projet de loi national sur la biotechnologie et la biosécurité, qui légaliserait la commercialisation des OGM. Soutenu par les intérêts mondiaux de la biotechnologie, ce projet de loi a suscité une forte résistance de la part de l’opinion publique.
La méfiance généralisée découle des craintes de brevetage des semences, de dépendance à l’égard des entreprises et de perte de l’autonomie traditionnelle en matière de semences.
Le Parlement ougandais a rejeté ou bloqué le projet de loi à plusieurs reprises, sous la pression d’alliances d’agriculteurs, d’églises et de la société civile.
Des organisations telles que la Food Rights Alliance et la Fédération nationale des agriculteurs de l’Ouganda (UNFFE) ont exigé une consultation publique inclusive, des évaluations environnementales et des protections juridiques pour les systèmes de semences des petits exploitants.
Ces efforts nationaux complètent les banques de semences locales et les initiatives en matière d’agroécologie, ce qui montre bien que la défense des droits et la pratique communautaire doivent aller de pair.
Lire la suite: The East African – L’Ouganda bloque à nouveau le projet de loi sur les OGM
Kenya : Batailles judiciaires et réactions nationales
En octobre 2022, le cabinet kenyan a levé l’interdiction de 10 ans sur les OGM, sans consultation publique ni contrôle parlementaire. Cette décision a suscité une résistance juridique et civique immédiate.
En février 2023, la Haute Cour du Kenya a émis une injonction, suspendant les importations et les cultures de maïs OGM dans l’attente d’un nouvel examen judiciaire – un moment historique pour les militants de la souveraineté des semences.
Des coalitions telles que la Coalition kényane pour la biodiversité et Route to Food Initiativequi ont averti que l’adoption non réglementée des OGM menaçait la biodiversité, l’autonomie des agriculteurs et la sécurité alimentaire.
Le débat a révélé les clivages politiques internes au Kenya : alors que le ministère de l’agriculture promeut les solutions biotechnologiques, les agriculteurs et les défenseurs de la justice alimentaire mettent l’accent sur les semences adaptées aux conditions locales et contrôlées par les communautés.
Plus d’informations ici : Beyond Pesticides – Un tribunal kenyan stoppe les importations d’OGM
🌍 Aperçu des principaux éléments
Les politiques nationales façonnent la liberté des semences: Les lois adoptées à Kampala et à Nairobi peuvent soit protéger, soit démanteler les systèmes agricoles traditionnels.
Les tribunaux et les coalitions sont essentiels: Les actions en justice et la pression civique s’avèrent efficaces pour faire reculer les régimes de semences des entreprises.
Les semences sont politiques: il ne s’agit pas seulement d’intrants agricoles, mais de ressources contestées, ancrées dans le pouvoir et la culture.
« Protéger les semences, c’est protéger l’avenir. Et la salle d’audience est aujourd’hui l’une des premières lignes ».

🌾 Réponses et résilience des communautés
Malgré les défis imposés par les lois restrictives, la pression des entreprises et l’érosion des connaissances traditionnelles, les communautés du Kenya et de l’Ouganda réclament activement leur souveraineté en matière de semences. Leurs réponses ne sont pas seulement des réactions à la crise, ce sont des actes transformateurs de renouveau écologique et culturel.
🏡 Banques de semences communautaires
Les banques de semences communautaires (BSC) sont des centres de stockage décentralisés où les agriculteurs conservent, consultent et échangent des semences adaptées aux conditions locales. Ces banques réduisent la dépendance à l’égard des hybrides commerciaux et préservent la biodiversité agricole.
La banque de semences communautaire de Kiziba, située dans le district ougandais de Sheema, conserve plus de 69 variétés de haricots et soutient plus de 2 000 agriculteurs, en particulier des femmes. Elle constitue une plaque tournante essentielle pour l’accès aux semences et la formation pendant les cycles saisonniers(Alliance Bioversity International).
Au Kenya, la Nyando Community Seed Bank protège non seulement diverses variétés de cultures, mais organise également des foires annuelles aux semences et à l’alimentation où les connaissances traditionnelles, la cuisine et les semences sont célébrées et échangées entre les villages voisins(Bioversity.org).
🧑🏿🌾 Réseaux d’agriculteurs à agriculteurs
Les organisations locales contribuent à rétablir les systèmes sociaux qui soutenaient traditionnellement le partage des semences :
Le réseau Seed Savers Network Kenya a formé et responsabilisé plus de 50 000 petits exploitants agricoles dans 18 comtés, en les aidant à récupérer des variétés de semences traditionnelles, à établir des parcelles de multiplication de semences et à organiser des foires communautaires(Seed Savers Kenya).
Les agriculteurs se tournent de plus en plus vers l « apprentissage horizontal, formant des réseaux locaux qui leur permettent d » échanger non seulement des semences, mais aussi des connaissances sur la résistance à la sécheresse, les calendriers de plantation et la lutte contre les parasites sans produits chimiques.
👩🏿 Les femmes, gardiennes des semences et des connaissances
Dans les traditions agricoles de l’Afrique de l’Est, les femmes sont les principales sélectionneuses de semences, conservatrices et détentrices d’histoires. Pourtant, leur savoir a été marginalisé par l’histoire coloniale et les modèles agro-industriels modernes. Les initiatives communautaires de conservation des semences leur redonnent un rôle central:
Dans des communautés comme Kiziba et Nyando, les femmes dirigent des formations sur la sélection des semences, le stockage et la narration.
Les anciens sont de plus en plus souvent invités à encadrer les jeunes, assurant ainsi la transmission intergénérationnelle des indicateurs de plantation, tels que les cycles lunaires, les étoiles et les migrations d’insectes.
🌍 Rituels et cartographie culturelle
Certaines communautés utilisent la cartographie éco-culturelle, un processus participatif qui relie la diversité des semences aux histoires, aux rituels, aux saisons et aux paysages sacrés. Ces cartes agissent comme des outils de mémoire, réinscrivant les semences dans leur contexte légitime – pas seulement comme une marchandise, mais comme un élément de la cosmologie culturelle.
« Lorsque nous faisons revivre nos semences, nous ne nous contentons pas de planter de la nourriture. Nous restaurons la voix de nos ancêtres dans le sol. »
🎬 Semences de souveraineté – Un film sur la résistance, la mémoire et l’avenir de l’alimentation
« Il ne s’agit pas seulement d’un film sur les semences. C’est un film sur le pouvoir, sur la mémoire et sur la revendication du droit à la vie ».
Seeds of Sovereignty est plus qu’un documentaire – c’est un témoignage du courage des agriculteurs africains qui s’opposent à un système qui cherche à effacer leurs connaissances, leur biodiversité et leur indépendance. Produit par la Fondation Gaia et des partenaires africains, le film explore la manière dont les agriculteurs d’Éthiopie, du Ghana, d’Afrique du Sud et du Kenya font revivre les systèmes de semences indigènes au mépris de l’agriculture industrielle.
🎥 Regardez le film :
▶️ Documentaire complet (38 minutes) :
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🌾 Ce que couvre le film
L’essor de l’agriculture industrielle: Comment les semences OGM et les monocultures hybrides ont inondé les marchés africains, supplantant les variétés indigènes et aggravant la dépendance des agriculteurs.
Les semences sont sacrées: dans de nombreuses cultures africaines, les semences ne sont pas des marchandises – ce sont des cadeaux des ancêtres, conservés et transmis par le biais de rituels, de prières et d’histoires.
Renouveau communautaire: des cérémonies de partage des semences au Ghana aux banques de semences communautaires au Kenya, le film montre des agriculteurs qui reviennent aux savoirs ancestraux et reconstruisent des réseaux d’échange.
Les femmes au centre: Ce documentaire rend hommage aux femmes, gardiennes traditionnelles des semences, dont le rôle est aujourd’hui reconnu comme essentiel à la souveraineté alimentaire et à la survie de la culture.
💬 Les voix du film
« Ils nous ont dit que nos semences étaient vieilles. Mais nos semences nous connaissent. Elles se souviennent de notre terre. Elles se souviennent des pluies »
– Agriculteur âgé, Éthiopie
« Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de semences de charité provenant d’entreprises. Ce dont nous avons besoin, c’est de la mémoire de notre propre nourriture ».
– Femme gardienne de semences, Ghana
« Lorsque nous partageons des semences, nous ne partageons pas seulement de la nourriture. Nous partageons le pouvoir »
– Responsable communautaire, Kenya
🔎 Pourquoi ce film est important
Outil pédagogique: Idéal pour les écoles, les groupes communautaires et les discussions politiques. Il peut susciter une réflexion critique sur l’agriculture, l’écologie et les droits des populations autochtones.
Appel à l’action: Le film encourage les spectateurs à soutenir les initiatives locales de conservation des semences et à rejeter les fausses promesses de dépendance à l’égard des semences des entreprises.
Pertinence mondiale: Bien que centré sur l’Afrique, le message du film résonne dans le monde entier, dans toutes les régions où les systèmes alimentaires locaux sont menacés.
📚 Vous voulez aller plus loin ?
Explorez les réseaux de conservation des semences : Seed Savers Network Kenya | AFSA – Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique
Découvrez l’impact du film : Fondation Gaia – Trilogie des graines de la liberté
🌍 Réflexion finale
Ce film n’est pas seulement quelque chose à regarder, c’est quelque chose à vivre. Dans toute l’Afrique de l’Est, les communautés écrivent une nouvelle histoire pour les semences. Une histoire non pas de dépendance, mais de résilience, de mémoire et de liberté.
Regardez-le. Partagez-le. Plantez l’avenir.